Sadi de Gorter

Texte édité in Gardenier, Institut néerlandais, 1978.
Sadi de Gorter

L’art de Gardenier commence à l’instant ou l’œuvre s’achève.

En d’autres termes, un tableau du peintre poursuit sa transformation lors même que Gardenier a fini son ouvrage.

L’œuvre se complète, se parfait, évolue au cours de son exécution.

Elle vit en somme comme continuent de vivre ces personnages de théâtre qui se dérobent au regard à la chute du rideau, mais qui restent présents en nous, plus universels que sur la scène.

Un crapaud de Gardenier est plus vrai sur la toile que dans l’herbe du pré car on le découvre en sa substance caractérielle ; un squelette humain brossé par lui est cette part insondable qu’on porte en soi mais qu’on ne peut identifier qu’en fonction du souvenir de squelettes conservés hors de la chair ; la mort du taureau à l’abattoir est pour l’artiste un drame pictural aussi poignant que la floraison d’un arbre.

Pour Gardenier, il ne suffit pas de regarder les choses et les êtres et encore moins de les exprimer ou de les interpréter : il lui faut écouter leur sonorité à la fois perfide et exaltante aussi bien qu’il lui faut confronter sa vision (à la rigueur l’associer) au monde en mouvement, au miracle permanent de la nature, au geste – pas si servile qu’on le croit – de l’homme. Voir et entendre la transposition des choses peintes !

Ainsi entrent dans l’art de Gardenier des rituels thématiques …

… comme la destruction à l’aide d’étranges bras tentaculaires de vieilles carcasses architecturales – en l’occurrence, les Halles de Paris – comme les battements, les palpitations, les pulsations de ce cœur insolite qu’est le batracien à la peau volcanique, comme le sacrifice sur l’autel de la civilisation des hommes,  d’animaux élevés dans ce but.

Gardenier pénètre ses sujets non à l’instar d’un «voyeur »  qui fouille  la vérité – sa pauvre et instable vérité – mais à la manière des anciens qui créèrent dans le rythme des couleurs et des formes un vaste domaine privé.  Tout se passe à l’intérieur de ce latifundium artistique exemplaire. C’est la que nous entraîne Gardenier  et de cette périlleuse entreprise lui et nous sortons vainqueurs.