Bénédicte Plumey

Texte édité in Catalogue Fragment d’une exploration, 2019.
Bénédicte PLUMEY – Peintre

L’esprit du lieu où a vécu Jaap Gardenier nous porte vers un monde bienveillant.

Chaque élément de son univers diffuse une lumière vivifiante. La sobriété côtoie l’abondance ; l’ascétisme la volupté. Jaap a régné sur ce monde en alchimiste. Il a transfiguré ce qu’il a approché. Car le peintre a vécu la vie ordinaire, dans tout ce qu’il y a de plus ordinaire, de façon extra-ordinaire.

Le tilleul centenaire abrite et protège l’atelier. Les pavots orange fluorescent irradient le bleu lavé de la porte d’entrée. Contraste brutal avec l’intérieur de la petite cuisine sombre ; transposition exacte d’une eau-forte de Rembrandt.
Clair-obscur devant la fenêtre où le peintre a aligné quelques objets qui nourrissent son incessante quête picturale. Proies saisies au vol du regard, attendant d’être digérées, puis révélées sur la toile. L’œil du peintre est la lampe du lieu.
Nous atteignons l’atelier. Nous y sommes. Tout l’esprit de la peinture de Jaap Gardenier se joue là, dans ce bond magistral : de l’objet vu, projeté mentalement vers la forge de l’atelier, puis sur le rebord de la palette, et ensuite métamorphosé, transfiguré sur la toile : un saut de géant.

Microcosme arraché à vif au pied de l’atelier (crapauds, pavots, herbes, soleil, racines, fruits…) puis éclairé par les étoiles de son esprit.
De plain-pied dans la couleur, on est saisi par son infini pouvoir vibratoire.
La fulgurance de l’exécution ajuste le mouvement du pinceau avec la couleur pensée puis élue. Il y a chez Jaap Gardenier une capacité sans limite à créer des associations puissantes, des dissonances, des éclats, des points de rupture dans les tonalités, qui nous donnent l’impression d’être au cœur d’une symphonie. Son écriture est dialogique. Tout converse.
Les gerbes de formes variées, déstructurées, puis restructurées dans le vif de la couleur, s’unissent sous nos yeux. Jaap concilie les extrêmes ; les chauds et froids, les tons purs avec les tons rompus. Le noir le plus glacial, embué de prusse, s’empourpre de rouge sang.

On ne peut s’empêcher de penser au célèbre Durch Leiden Freude de Beethoven : À travers la souffrance, la Joie !
Tout prend corps grâce à son écriture dialogique, l’art de ses compositions, et dans l’enchaînement vertigineux des harmoniques, nous menant toujours vers la victoire finale.


Les œuvres peintes en 2007, 2008 autour des floraisons (Fleur jaillie, Herbes sur fond noir) traduisent cette victoire de la forme sur l’informe, de la lumière sur les ténèbres (et de l’humanité sur la barbarie).
Les frontières entre l’ombre noire ténébreuse et l’orange de lumière sont abolies puis résolues par « des coups de sabre » d’une grande douceur. Bleu ciel au cœur de l’orange, citron-nacré éblouissant de lumière pour répondre au vert ondoyant des herbes. Tout est vibration.

L’inattendu est toujours au cœur de l’ouvrage de Jaap Gardenier. Et cela aussi grâce à l’étendue de sa vision humaniste qui connaît, le monde, la Nature, par cœur, avec le cœur.
Partant d’un pavot, on arrive dans une galaxie !

Jaillie de la nuit, petite fourrure grise et rose si tendre, unie à un bleu laineux (Hiver I 2008) et tout frissonne.
C’est une vision de l’enfance, un miracle de lumière.
C’est un hymne à la vie, là où personne ne la voit plus. Sa peinture respire, révèle.

Transformer l’émotion visuelle en expérience existentielle, voilà où nous sommes conviés, devant chaque œuvre. La série des Têtes, des Couples est remarquable à ce titre. L’homme à l’oreille coupée, Vincent (2007) nous place devant un événement qui se déroule là, dans le vertige des couleurs quasi-hallucinatoires. La violence des couleurs complémentaires à l’état pur (rouge/vert, jaune/violet, orange/bleu) nous fait l’effet d’un électro-choc. Même effet dans la Tête blanche peinte en 2006 ou le Guerrier rouge (peint en 2004).
Nous sommes ici et maintenant devant Vincent, devant la petite histoire, placée au cœur de la grande histoire de la peinture, de toute éternité. Comme devant le Christ des Pèlerins d’Emmaüs de Rembrandt (Louvre), Il est là, pour toujours. Il est peint — peint — vivant. Il est apparu et toujours en train d’apparaître sous nos yeux, par le génie du peintre.

Ainsi l’art de Jaap Gardenier est «présence» et «respiration». Nous ne regardons pas les toiles du peintre, ce sont elles qui nous regardent ! Plus que de beauté, il s’agit de vérité.

Etant vraie, l’œuvre de Jaap Gardenier nous rend libres.

Mars 2019, à Beaumes-les-Venise.